. créations

2MB . Présentation

 

On le sait, le théâtre a son double, depuis Artaud. L'acteur convoite quant à lui la "doublure" du personnage qu'il incarne. En effet, au théâtre le travail de l'acteur construit ce qui est immédiatement observable par le spectateur. Par son intermédiaire, le texte, la scénographie, la mise en scène deviennent situations, intrigues, messages, répliques, gestes, rythmes ... lesquels, si l'acteur s'y prend bien, véhiculent le sentiment que la scène s'invente en même temps qu'elle s'opère. Ainsi, le personnage de théâtre, pour être crédible, doit donner des gages de sa disponibilité.

 

Ce n'est pas ce qu'on attend d'un employé. Celui-ci doit être un véritable "actant", agissant tout au long de sa journée de travail pour apporter sa pierre à l’édifice d’une production préalablement connue et définie. Actuellement, on lui demande de faire preuve d’originalité, plus encore lorsque les process qui encadrent l’exercice de sa fonction font l'objet d'une normalisation tyrannique.

 

Selon cette approche, les métiers du "théâtre" et ceux de la "ville" s'opposent irréductiblement. D'un côté, l'omniprésence. De l'autre, l'omnipotence. Dans ce monde perclus de paradoxes, n'y aurait-il pas la place pour l'édification d'un musée des métiers bizarres ?

 


LE MONDE ESREVNI

pièce rêvolutionnaire

 

Texte et images : Jean-Pierre Texier

Composition musicale : Alain Guilleux

Mise en scène : Anne Texier

Montage vidéo : Marie Bécheras

 

Avec : Ludivine Bah . Sacha Graur . Marie Heydel . 

Zaccharie Milly . Clémentine Savine . Anouk Texier

 

CRÉATION V.0

jeudi 23 juin 2016

 

THÉÂTRE DOUZE

6 rue Maurice Ravel

75012 PARIS

 

 

 

Le monde Esrevni . Synopsys

 

Et si nous courions tout droit vers le précipice : l'extinction des rêves à l'horizon 2080 ?

La pièce embrasse avec poésie, humour et tonicité la catastrophe annoncée. Un remède pour inverser la courbe du dézingage ? Cela peut apparaître comme une gageure, précise l'auteur. Et d'ajouter : "Nous avons tenté de nous rapprocher de cette humanité qui est menacée par la perte de ce qu'elle a de plus précieux.

Oui, plus que jamais, il faut s'employer à revitaliser le "droit de rêve".

 

Présentation et note d'intention

par Jean-Pierre Texier

 

Nous ne sommes pas grand-chose sans le secours des rêves. Chaque nuit, nous recourons à leurs arabesques pour mieux métamorphoser nos habitudes, nos rituels, nos déterminations. Nous partageons cette aptitude  avec l’enfant que nous fûmes, avec nos lointains ancêtres et nos descendants distants. En fait de pronostics, on pourrait dire que sans le monologue des rêves le monde serait encore davantage suffocant. Et s’il s’annonçait une catastrophe indicible ? Et si nous courions tout droit vers le précipice : l’extinction des rêves à l’horizon 2080 ? Mais vous n’y pensez pas ! Si, justement, puisque c’est le prétexte fondateur de la pièce.

 

Le premier indice concerne le titre lui-même. Esrveni – inversion du mot inversé, lettre à lettre – s’avère porteur d’une question confondante : aux yeux de qui sommes-nous le nid du rêve ? Seuls des poètes rêver, mais rêver aux éclats, des amoureux  vois-tu, ce monde, celui que nous cherchons à mettre au monde, est comme un verger croulant sous les fruits, des enfants ce paysage familier, l’enfance, je crains qu’ils n’en comprennent plus la langue... Tu veux dire qu’ils auraient oublié leur terre natale ? pareillement égarés dans le monde des « Visiteurs » peuvent être porteurs de cette question. Les Visiteurs, autrement dit, nous mêmes, les mutilés de l’imaginaire, avons pris l’habitude de nous enfuir en courant. « Dans tes rêves ! » est l’expression abrupte qui résume le verdict. Le rappel à l’ordre est implacable. Cependant « chaque fois qu’un rêve se propage de la nuit au jour, malmène l’exiguïté de notre condition, on peut penser qu’un peu d’humanité s’érige sur la terre ».

 

En conséquence, combat intérieur contre la destruction de soi et en soi de la faculté de rêver. Cette pulsion et cette impulsion ne sont cependant pas sans résonance. On observe que l'inversion mobilise tout aussi bien le champ social et politique. Des illustrations à foison. Par exemple, la fameuse inversion de la courbe du chômage. L'inversion est aussi tragédie lorsqu'elle qualifie le retournement postural d'Aylan, petit garçon de quatre ans retrouvé sur une plage. Quand "tout baigne", les enfants de cet âge ont la tête dans le sable et les pieds dans l’eau. Pour lui et ses semblables l'inversion signe la noyade.

 

L’entrelacs des mots et des maux autorise à nous aventurer dans l’inconnu, au-delà des limites de la raison discursive. Car le monde est devenu trop complexe pour qu’un projecteur unique puisse en éclairer la totalité. Il appartient au soubresaut libérateur de déclencher l’inversion de l’image rétinienne.

 

Nouvelle fiction, nouvelle fonction : jouer, donner libre cours à l’imaginaire pour favoriser la création de ce qui advient. Aller plus loin. La chose importante est de remettre les compteurs à zéro. Zéro est un remède salvateur. Zéro est une terre promise. Jouer et se confronter à l’enjeu si bien exprimé par Armand Gatti : « Je n’arrive pas à considérer le théâtre comme un moyen d’amuser, de distraire. Je préfère le considérer comme un perpétuel moyen de libération – non seulement de préjugés, d’injustices (ce qui va de soi), mais aussi du conformisme et de certaines façons de penser qui, arrêtées, deviennent cercueils »[1].

 

A partir de cela, une vaste question se pose : comment faire rêver le théâtre et pas simplement faire rêver (le public) au théâtre ? Si seulement cela pouvait arriver un jour, se présenter ex nihilo dans un monde de clémence précoce. Avec Le  monde Esrevni, le rideau se lève sur cette autre provenance et cette autre destination. La pièce, créée à partir du travail avec des enfants, interroge l’enfantement de cette activité étrange et merveilleuse de rêver comme bon nous semble.


[1] A. Gatti, « Préface au Théâtre III », éditions du Seuil, 1962.